Le Corps féminin : actualité de la recherche. Compte-rendu du 16 octobre 2020

Marie-Antoinette Alamenciak, Marie Piccoli-Wentzo et Tobias Boestad (pour Marie-Christine Payne) ont présenté le sujet du séminaire « Le Corps féminin : actualité de la recherche ». Les différentes contributions chercheront à montrer la pluralité du corps de la femme médiévale, entre historisation et re-présentation. Ce séminaire s’attachera surtout à mettre en avant les visions féminines du corps de la femme. Une première séance avait eu lieu le 28 février 2020, cette séance est la deuxième et une dernière aura lieu le 11 décembre.

Nadia Pla. Visions féminines des menstrues au Moyen Âge
Selon Nadia Pla, les menstrues occupent une place essentielle et très forte dans la société médiévale. Pour exemple, le bain de Bethsabée (image du séminaire) est selon une glose biblique un bain purificateur après son cycle. Pour cette communication, elle cadre son sujet sur les visions féminines des règles, ces sources sont rares, car très souvent les menstrues sont traitées dans des textes masculins. Nadia Pla a néanmoins pu constituer un corpus de six textes où des femmes parlent de cycle menstruel.
Trota ou Trotula de Salerne (XIe, Italie)
Trotula est la plus célèbre de ces femmes, mais pas la plus intéressante, car elle n’a probablement pas existé. Trotula serait le nom du célèbre recueil de médecine, divise en trois traités, et non de l’autrice. Les trois traités auraient d’ailleurs des auteurs différents, probablement des hommes, qui écrivent néanmoins sous l’influence d’une femme médecin : Trota. On connaît un autre traité qui aurait été écrit par une certaine Trota. Dans ces quatre traités, de nombreux passages traitent des menstrues, mais ce qui est écrit est très typique. On ne peut pas en dégager une « vision féminine ».
Hildegarde (Abbesse, XIIe, Bingen)
De manière générale, Hildegarde est une autrice très originale : on n’arrive pas à déterminer ses sources ni à trouver des prolongements de ses idées chez d’autres. Par conséquent, sa personnalité atypique ne permet pas forcément de dégager une vision féminine des menstrues. On va néanmoins voir six exemples où elle parle des règles.
-lors d’une métaphore végétale avec le corps féminin. On note que la métaphore est complète (elle traite tout le corps) et très poétique. Une vision très positive apparaît des menstrues et du corps féminin.
-le sang menstruel devient l’ingrédient dans une recette contre la lèpre. C’étonnant, car on trouve généralement dans les écrits que l’homme peut attraper la lèpre en ayant un rapport sexuel avec une femme qui a ses règles. Ici les règles deviennent le remède à la maladie.
-le sang menstruel peut monter à la tête. Le crâne s’entrouvre.
-une typologie des menstrues est reprise des 4 humeurs pour le flux, la couleur, etc.
-dans la Lettre à Sibylle, Hildegarde procède à la consultation médicale d’une femme qui perd du sang (pas menstruel, mais assimilé aux menstrues au Moyen Âge). Pour la soigner, elle préconise une pratique magique.
-Hildegarde explique comment adapter les vêtements des religieuses selon la Règle de saint pour des femmes.
Héloïse (XIIe siècle, France)
Dans une correspondance avec Abélard, Héloïse demande des conseils pour gérer une communauté religieuse de femmes. Ils discutent des menstrues. Elle demande comment adapter les vêtements au cycle menstruels des moniales. Pour ce faire, elle utilise une expression appuyée (4 mots désignent les menstrues dans une seule question), qu’on peut comprendre comme une parole féminine : elle parle au nom des moniales et évoque leur problème. Dans sa réponse, Abélard conseille Héloïse sans écrire le terme « menstrues ».
Béatrice de Planissoles (Châtelaine de petite noblesse non érudite, début XIVe siècle, France. Paroles de procès donc paroles non libres et transposition par des hommes)
Il s’agit d’un témoignage rare où une femme explique la persistance de la libido après la ménopause.
Elle est ici interrogée sur du sang trouvé sur un vêtement. Elle explique que c’est le premier sang menstruel de sa fille. On a peut-être un témoignage de ce qui servait de protection hygiénique au Moyen Âge (un tissu de lin fin). Béatrice explique qu’elle a gardé ce tissu pour procéder à une pratique magique qui revient à faire boire le sang menstruel au futur mari de sa fille pour conserver son amour.
Béatrice, Marion (France, Paris, fin XIVe siècle), Gratiosa (Italie, XVe siècle)
Marion est une prostituée qui échange avec une amie, Manon. Elles échangent des conseils pour retenir un homme. Parmi ces recettes, on trouve celle de boire ensemble le sang menstruel pour faire grandir l’amour. Gratiosa est aussi une prostituée. Elle évoque une recette similaire avec un cœur imbibé de sang menstruel pour faire grandir un amour entre un homme et une femme. Néanmoins, la réalité de ces dernières sources est à interroger.

Nicolas Garnier, « Les fabliaux, ou le corps féminin bafoué : l’exemple de la Dame escoillée »
Le corps joue un rôle très important dans les fabliaux (thèmes récurrents de la scatologie, nourriture, sexualité). En ce qui concerne les femmes, elles y sont le plus souvent réduites à leur corps. Nicolas va s’intéresser à la violence exercée sur le corps des femmes en étudiant le fabliau de la Dame escoillée. Dans ce récit, une dame qui gère la maison à la place de son mari finie par être punie par son gendre, qui la condamne à une fausse extraction de testicules (qui seraient le symbole de sa volonté virile de pouvoir).
La violence sur le corps féminin comme créatrice de tension narrative
La violence exercée sur le corps des femmes est un enjeu narratif dans les fabliaux.
Parce que présentées comme plus faibles physiquement, les femmes devraient compenser cette faiblesse par la ruse. Ce serait leur seul moyen pour répondre et échapper à la violence physique des hommes qui s’exerce sur leur corps.
Autre possibilité narrative : transgresser/violer le corps des jeunes femmes pour obtenir leur virginité.
Une violence insoutenable
Apparemment, le fabliau de la Dame escoillée illustre parfaitement le renversement carnavalesque (le mari est soumis à la femme qui dirige la maison). Mais Dominique Boutet a montré que ce fabliau était plus moralisateur que carnavalesque : le récit veut montrer que les femmes ne doivent pas commander.
De plus, si la violence est souvent présente dans les fabliaux, dans le fabliau en question elle est particulièrement sauvage : la scène d’extraction est longuement décrite, ainsi que les hurlements de douleur de la dame.
La violence comme exemple
La violence sur le corps de la femme se veut ainsi exemplaire (comme l’indique la répétition du mot « essample ») dans le texte : la dame a la punition qu’elle mérite, elle n’avait qu’à ne pas vouloir l’autorité masculine. Le corps féminin doit ainsi être domestiqué pour mener à l’obéissance.
Dans la Dame escoillée, la violence est ainsi un rappel à l’ordre, elle n’est pas ludique.

Questions pour Nadia :
Maxime : je n’avais jamais entendu parler de femme médecin, est-ce spécifique à l’Italie ? R : Les spécialistes sont divisés, mais il semblerait qu’il y ait effectivement plusieurs femmes médecins en Italie, à Salerne et aussi à Bologne.
Tobias : Pour Hildegarde, que veut dire viridité ? R : c’est un mot attribué au végétal, qu’Hildegarde adapte au corps féminin. Il a peut-être la même racine que vis (force) ou vita (vie).
Marie : Comment étaient perçues ces « pratiques magiques » de boire le sang menstruel ? R : très mal, elles étaient condamnées fortement, y compris dans le cadre du mariage.
Ella : quelle est la réponse d’Abélard à Héloïse ? R : il répond pour l’adaptation des vêtements, mais ne mentionne pas les règles.
Cameron : Quelles sont les conséquences d’avoir des relations avec une femme pendant ses règles ? R : La lèpre pour l’homme ou l’enfant qui serait conçu. L’enfant peut aussi être roux ou boiteux.
Clara : Le lien à la nature est-il juste métaphorique ? R : Il est lié à des recettes.

Questions pour Nicolas :
Marie-Antoinette : La femme peut-elle être rapprochée de la figure du prêtre ? R : on retrouve la même violence, le prêtre est souvent castré. C’est vrai que narrativement, le prêtre est souvent traité comme la femme.
Clara : Tu as parlé d’empathie pour la femme, de quel point de vue ? R : Il y a une idée de punition, même si le but est comique. Cependant, je note que la violence exercée contre la femme est très descriptive.
Sidonie : Y a-t-il un changement dans le comportement de la femme après cette violence ? R : Puis, elle apparaît « guérie » et, après ces épisodes, c’est le mari qui dirige à nouveau le couple.
Claudia : Lorsque le mari est trompé, est-ce aussi un exemple ? R : je ne sais pas.
Susanna : La violence exercée sur les femmes dans les fabliaux m’a fait penser aux tortures des martyrs dans les mystères. Peut-on les rapprocher ? R : Dans les fabliaux, ce n’est pas la violence qui fait peur, mais le fait que la femme dirige le couple. Le mari doit ruser comme s’il était faible.
Marie : À quel public étaient destinés ces récits comiques ? R : Les spécialistes se posent la question depuis que le genre est étudié. Probablement que ces textes s’adressent à un public très large : un public de taverne pour les références obscènes, mais aussi un public aristocratique, car de nombreuses références, souvent pointues, à la littérature de ce milieu sont souvent évoquées.

Questes

Créé en 2001 par des doctorants de la Sorbonne, le groupe Questes est une association interdisciplinaire et interuniversitaire proposant des séminaires mensuels, organisés et animés par des doctorants médiévistes. Questes rassemble aujourd'hui plus de cinq cents personnes en France, en Europe et dans le monde.

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